Ce bulletin consacré aux 50 ans du métro serait incomplet sans un coup de chapeau aux hommes et aux femmes qui ont bâti et exploité ce réseau de transport. Évidemment, depuis octobre 1966, plusieurs nous ont quitté. Mais il en reste au moins un qui était là en 1966 et qui travaille toujours dans le domaine du transport collectif : Roger Choquette.
M. Choquette est entré à la Commission de transport en 1964. D’abord ingénieur, il a gravi les échelons un à un pour finalement devenir directeur exécutif – Métro et trains de banlieue en 1989, puis directeur exécutif – Construction et projets majeurs en 1995, jusqu’à son départ de la Société de transport fin 1997. Mais au lieu de prendre sa retraite, il a créé sa propre entreprise de consultation, ce qui lui a permis de contribuer, entre autres projets, au prolongement du métro à Laval. 55 ans après sa sortie de l’université, Roger Choquette poursuit sa belle histoire d’amour avec le transport collectif!
Le trio Donato-Blain-Beauchamp
Roger Choquette tient à partager cette tribune avec toutes les personnes qui ont participé à la grande aventure du métro de Montréal. « J’y ai contribué, dans une certaine mesure, mais il y en a eu tellement d’autres. Je pense aux premières équipes, à la première organisation : les services du Génie, du Transport et de l’Entretien des véhicules, et leurs directeurs, MM. Georges Donato, Guy L. Blain et Gaston Beauchamp. Pour nous tous, le métro était entièrement nouveau. Nous devions pourtant opérer ce système hautement sophistiqué, avec ses avantages mais aussi ses lacunes. J’ai un profond respect pour ces personnes, qui m’ont beaucoup appris. »
Roger Choquette a reçu en 2010 le prix Josef-Hode Keyser de l’AQTR, une des plus grandes distinctions dans le domaine des transports au Québec.
Dans un entretien, M. Choquette nous a confié plusieurs anecdotes ayant trait aux premières années du métro :
Son arrivée à la Commission de transport : « J’étais jeune ingénieur de projets pour la compagnie Provincial Transport et je visitais régulièrement les installations de la CTM, car celle-ci avait la réputation d’être à l’avant-garde dans l’entretien de ses bus. À force de fréquenter les gens au Plateau Youville, j’ai appris qu’il y avait des ouvertures à la Commission de transport, et de grands projets à réaliser comme les nouveaux ateliers de grande et de petite révision du métro. J’ai donc sauté sur l’occasion! »
Le rôle des Français dans la construction du métro : «Cela a été un apport important pour la Commission de transport, tant au plan technique qu’au plan de la culture et des valeurs. Nous leur en sommes redevables à maints égards. Mais les Français nous ont laissé un système qui, malgré ses grands avantages, présentait certaines lacunes. Dès le début et progressivement, des changements et des améliorations ont été nécessaires. La vitesse d’opération en est un exemple : il a fallu la réduire par rapport au concept original, question de sécurité et de fiabilité. Un autre exemple : je travaillais à concevoir le train dépoussiéreur et déjà, j’avais certaines discussions avec les Français quant au concept. Ils étaient les spécialistes de la voie et du matériel roulant, et il ne fallait pas trop déroger à leurs recommandations. Je leur ai dit qu’à Montréal, je préconisais un système de détection et d’extinction d’incendie à bord du train. Mais pour eux, il n’en était pas question : c’était inutile. Toujours est-il qu’un incendie est survenu peu après à bord d’un véhicule semblable à Paris, et on n’a plus jamais remis en question mon système ! »
Le train dépoussiéreur : «Les Français possédaient déjà ce type de véhicule, inspiré d’un autre à Stockholm en Suède. New York en avait également un, de concept différent puisqu’il servait surtout à aspirer les gros objets. De notre côté, nous voulions quelque chose d’un peu plus élaboré. C’est qu’ici, nous construisions des tunnels entièrement en béton, y compris le radier et les pistes de roulement ; il fallait donc composer avec plus de poussière qu’ailleurs. Par la suite, on a également constaté qu’il y avait beaucoup de fibres de vêtements. Il fallait quelque chose de costaud, avec une grande capacité d’aspiration et de filtrage. J’ai pu compter sur le soutien de mon directeur au Génie, M. Donato. Le train dépoussiéreur a été bâti aux ateliers de la Commission par la compagnie Bédard et Girard. Il a été modifié depuis, et à ma connaissance, il fonctionne toujours!
Une visite rapide : «Une fois l’installation de la voie complétée, je reçois un appel d’un confrère, Raoul Turcotte, dont le bureau est situé à l’atelier de la voie, à Youville. Il souhaite me rencontrer à mon bureau qui, lui, se trouve au siège social de l’entreprise, sur l’ancienne rue Craig (Saint-Antoine); j’accepte et je lui dis que je l’attends. À peine quinze minutes plus tard, il fait irruption dans mon bureau ! Le trajet de Youville à la rue Craig, à l’époque, prenait d’une demi-heure à trois quarts d’heure en auto ou en bus. Je lui demande : « Mais où étais-tu quand tu m’as appelé? » Et il me répond : « À Youville! Je suis venu par le tunnel du métro à bord d’une draisine. » Il était fier de son coup ! Évidemment, dans des conditions normales d’exploitation, cela lui aurait pris un peu plus de temps. Mais c’est là que j’ai réalisé qu’avec le métro, les choses venaient de changer à Montréal. »
La grande déception du maire Drapeau : « Monsieur Drapeau a appelé notre département et il n’était pas content. La veille, un premier train avait circulé entre les stations Crémazie et Jean-Talon, et le maire en était sorti très déçu du bruit généré par les voitures. Il faut comprendre que notre métro roulait plus vite que celui de Paris, et que le son augmente au carré de la vitesse. De plus, nous avions un radier en béton, alors que celui de Paris était en ballast. Nous avons essayé toutes sortes de choses, comme par exemple installer des tapis sur le radier, mais cela n’a pas donné de résultats satisfaisants. Nous avons toutefois diminué la vitesse des trains, parce qu’elle avait des effets néfastes sur certaines pièces des voitures et augmentait les dépenses d’entretien. Cela a également eu pour effet de diminuer le bruit généré par les voitures. »
Les premiers jours du métro : « Déjà, on commençait à avoir des petits problèmes d’exploitation. Je me souviens de m’être retrouvé à la station Place-d’Armes où un train, pour une raison quelconque, était immobilisé. J’étais derrière la loge de conduite et je pouvais entendre les gens du centre de contrôle qui tentaient de convaincre l’opérateur de trouver une façon de bouger son train. Après toutes les consignes et le beau langage des communications, le contrôleur a perdu patience et a dit à l’opérateur : « Monsieur, voulez-vous changer de pays! » Je ne me souviens pas comment on y est arrivé, mais le train a fini par repartir. Il fallait tout de même apprendre à exploiter ce nouveau mode de transport. »
L’incendie de 1971 : « Arrivé au terminus Henri-Bourassa, le train conduit par l’opérateur Gérard Maccarone a accéléré rapidement et est entré violemment en collision avec un autre train garé sur la voie. L’accident a provoqué un foyer d’incendie si important que pour l’éteindre, il a fallu inonder le tunnel. Quand je suis arrivé à la station Henri-Bourassa, le feu était déjà hors de contrôle. J’ai voulu descendre, mais la chaleur était tellement intense que je n’ai dû m’arrêter au haut de l’escalier. La leçon qu’on a apprise de cet incendie, c’est qu’il ne fallait plus stationner de trains sur la voie d’arrivée. »
L’incendie de 1974 : « À la station Rosemont, on constate une avarie sur un train, un pneu qui semble dégonflé. Mais en accord avec les règles de l’époque, on tente de continuer le service avec les clients à bord. Le train repart vers Laurier, mais entre les deux stations, l’armature métallique du pneu endommagé entre en contact avec la barre de guidage et créé un court-circuit, qui provoque un début d’incendie. Heureusement, le train est évacué à temps et le personnel au centre de contrôle active les ventilateurs en tunnel de manière à aspirer la fumée en direction opposée. Cependant, sous l’effet de la chaleur, ces ventilateurs ont brûlé eux aussi ! Les pompiers sont arrivés rapidement à la station Rosemont, mais encore une fois, les procédures n’étaient pas claires. Ce qu’on a appris de ce second incendie, c’est d’abord qu’en cas d’avarie grave, on évacue le train; qu’on n’essaie pas de bouger celui-ci et qu’on fait appel à un service d’urgence qualifié; et surtout, qu’on mette sur pied un système de détection capable de départager un fort courant de démarrage et un court-circuit. Ça a été une grande avancée sur le plan de la sécurité. »
La sécurité dans le métro : « Ces incendies ont provoqué un grande réflexion sur la sécurité dans le métro. Il fallait répondre aux 74 recommandations du juge Roger LaGarde, chargé de l’enquête sur l’incendie de 1974. Nous avons créé le Comité Inter-Services du métro, qui regroupait des représentants de la Commission de transport et du Bureau de transport métropolitain (BTM, chargé de la construction des prolongements du métro), ainsi que du Service d’incendie de Montréal. Plusieurs gestes importants ont été posés, comme l’ajout de points d’eau dans le tunnel et de bornes sèches en surface (de couleur bleue) à l’usage des pompiers, ainsi que la création d’une école de prévention des incendies sur le site de l’incendie de 1971. Lorsqu’un autre incendie a éclaté à la station Georges-Vanier, en 1981, les employés et les pompiers sont intervenus de manière tout à fait différente et ont rapidement maîtrisé la situation. Cette réflexion, jumelée à celle d’autres sociétés de transport d’Amérique du Nord, a mené à la création de la norme NFPA 130, en 1983. »
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