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Le bye-bye de Jean-Guy Campeau

 

Jean-Guy était magasinier à la Chaîne d’approvisionnement.

« Je suis né il y a 60 ans à Rivière-Rouge, dans les Laurentides. Je suis malentendant. J’ai reçu deux appareils auditifs à 16 ans seulement, ce qui veut dire que j’ai dû me débrouiller durant tout mon primaire et une bonne partie de mon secondaire. Ce n’est pas que je ne comprends pas : c’est ma façon de comprendre qui est différente des autres. Comme je dis parfois aux gens, je n’entends pas, mais je vois clair! On m’a également déjà dit : « C’est drôle, Jean-Guy, t’es sourd mais t’es toujours à l’écoute! » Les gens ne comprennent pas toujours qu’entendre et écouter, ce sont deux choses bien différentes.

« Je suis allé à Montréal pour mes études postsecondaires. J’ai obtenu un DEC en sciences humaines avec maths, puis un bac multidisciplinaire avec un certificat en relations publiques et un autre en publicité. J’ai également suivi des cours en communications, en informatique, en psychologie et en animation. Durant mon passage à l’Université de Montréal, j’ai travaillé au local des personnes handicapées et j’ai fabriqué des livres en braille pour les aveugles. C’était quelque chose, avec les technologies de l’époque!

« Je suis également photographe et j’y ai vécu de grandes émotions. J’ai photographié des concerts, le Festival des Films du Monde, les 24 Heures de Tremblant, le Red Bull Crashed Ice à Québec… Ça ne m’a jamais rapporté beaucoup d’argent, mais ça m’a permis de connaître bien des gens et de vivre ma passion. Plus récemment, je suis devenu le personnage d’une bande dessinée, Arale, sous la plume de mon ami Denis Rodier.

« J’ai occupé toutes sortes de métiers dès l’âge de 13 ans. J’ai même travaillé chez Distribution aux Consommateurs! J’ai aussi suivi le programme d’échange Katimavik, mais en sortant de l’université, je n’avais rien. J’ai participé à une émission de Claire Lamarche pour les sans emploi et j’avais une pancarte sur moi où il était écrit « Jean-Guy Campeau, photographe », avec mon numéro de téléphone. Après, les gens me reconnaissaient, mais n’avaient pas plus de travail pour moi. C’était difficile à l’époque, il pouvait y avoir une soixantaine de candidats interviewés rien que pour laver la vaisselle dans un centre de personnes âgées…

« C’est à ce moment que je suis entré à la STCUM. C’est mon oncle, un retraité de l’entreprise, qui m’a suggéré cette voie. J’ai appliqué pour un emploi régulier et j’ai marqué « étudiant » parce que j’étais encore aux études. Je me souviens encore de l’enveloppe, avec le formulaire à l’intérieur, au moment de la placer dans la boîte à lettres. J’ai fait un signe de croix dessus et j’ai dit : « Le sort en est jeté. » Je ne suis pas le plus religieux, mais cette fois-là, j’y croyais et quand la STCUM a rappelé, je pensais avoir gagné le gros lot!

« Je suis finalement entré comme employé étudiant, à laver des bus durant trois étés. De fil en aiguille, j’ai débuté comme employé régulier pour une période de deux semaines… et je suis resté à la STM 26 années! Par contre, à cette époque, Il y avait encore peu de diversité dans l’entreprise. Ainsi, plusieurs personnes n’acceptaient pas de travailler avec moi, elles avaient « peur » de la déficience auditive. Ça n’a pas toujours été facile : je me suis fait traiter d’handicapé et de toutes sortes de noms, mais je suis travaillant et j’ai fait ma place.

« Pour moi, le service à la clientèle a toujours été une priorité : chaque personne est importante et quand on me demande de quoi, j’y mets tout mon cœur. J’ai commencé par nettoyer les bureaux à la Tour GR et après, je suis allé faire le ménage aux ateliers Villeray, puis à la Caisse. J’ai aussi fait partie d’équipes de nettoyage au métro. Je suis finalement devenu magasinier, poste que j’ai occupé à Villeray, Crémazie, Saint-Denis, Mont-Royal, LaSalle, la station Lionel-Groulx et finalement à la station Berri-UQAM, où j’ai terminé ma carrière.

« Dans le fond, la STM m’a sauvé la vie. Je suis conscient de la chance que j’ai eue, d’avoir un bon emploi. Je remercie tous mes collègues qui m’ont permis d’acquérir autant d’expérience. La STM a remporté de nombreux prix pour la diversité, et avec raison. Le seul problème, c’est qu’il reste encore des gens à l’interne qui n’y croient pas, qui nous traitent comme n’importe quel employé alors qu’il suffit souvent d’une simple discussion de quelques minutes pour mettre les choses au clair et aller de l’avant.

« Pour ma retraite, je compte m’occuper de ma fille de huit ans, mais je ne vais pas rester à la maison pour autant! Avec ma connaissance des entrepôts, je ne devrais pas avoir trop de difficulté à me trouver un emploi à temps partiel. Je compte également me consacrer davantage à la photographie, à la figuration et au bénévolat. Je veux rester près de la STM aussi. C’est une belle gang, ça me fait de la peine de partir mais à un moment donné, il faut laisser la place aux autres. Je prends ma retraite dans la sérénité… et non dans la sénilité! »

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